Aller au contenu principal

L'ÉGLISE CATHOLIQUE ET LE DIALOGUE INTERRELIGIEUX : QU'EST-CE QUI A CHANGÉ DEPUIS VATICAN II ?

Invité par la Faculté de théologie de Genève, Joseph Famérée, théologien, prêtre du Sacré-Cœur de Jésus de Saint-Quentin, Belgique, professeur à l Université catholique de Louvain-la-Neuve et membre du Groupe des Dombes (un groupe de dialogue œcuménique fondé en 1937 et qui réunit une quarantaine de membres catholiques et protestants francophones. Ce groupe est une référence internationale dans le dialogue œcuménique et ses travaux ont inspiré le concile Vatican II et le Conseil œcuménique des Églises), s’est déclaré très honoré et très fier de se trouver dans notre alma mater pour un cycle de conférences dont la première a eu lieu en février 2019. Celle-ci a porté sur une analyse des rapports de l’Église catholique au monde contemporain (modernité, démocratie...) et donc de la réception de la constitution Nostra Aetate, « Sur l’Église dans le monde de ce temps », du 7 décembre 1965.

 

« L'Église catholique: Qu'est-ce qui a changé depuis Vatican II ? » Cette conférence aurait pu tout aussi bien s’intituler « Vatican II: un nouveau style de rapport de l’Église catholique aux autres chrétiens, aux religions non chrétiennes et au monde ». C’est sous cet angle particulier que Joseph Famérée a souhaité répondre à la question: qu’est ce qui a changé depuis Vatican II ? 

Ce concile, qui s’est tenu à Rome entre 1962 et 1965, il y a donc plus de 50 ans, a-t-il promu une nouvelle manière pour l’Église catholique d’entrer en relation avec le monde contemporain ? Sans aucun doute. Joseph Famérée a déclaré en être convaincu. Même si cette manière n’a pas toujours été bien reçue dans l’en- semble de l’Église catholique, a-t-il tenu à souligner. Mais, sans aucun doute, cette promotion d’une nouvelle relation au monde proposée par le concile a été un pas de géant sur la voie du dialogue inter- religieux. Alors que jusque-là la position officielle de l’Église catholique était plutôt une position de défense et de critique de tout ce qui n’était pas catholique, le concile Vatican II a adopté une posture de dialogue bienveillant avec les autres chrétiens, avec les religions non chrétiennes et, plus largement, avec le monde. Certes le concile n’a pas été une génération sponta- née. Cette assemblée de tous les évêques catholiques a consacré un renouveau en cours depuis déjà une cinquantaine d’années, grâce aux mouvements biblique, liturgique et œcuménique notamment. Avant de se pencher sur la réception de Vatican II dans l’Église catholique, sous l’angle plus particulier du dialogue interreligieux et sur l’étape significative de la rencontre interreligieuse d’Assise en 1986, Joseph Famérée a jugé important de rappeler quelques aspects déterminants du renouveau conciliaire.

Il a donc commencé par mettre en évidence ce qui lui a paru neuf dans Vatican II et rappelé que pour l’Église catholique, le magistère de celui-ci est le dernier enseignement du plus haut niveau, le plus autorisé au sein de l’Église. Depuis 1965 il n’y a plus eu d’enseignement aussi solennel, d’enseignement d’une telle autorité. Il y a bien sûr eu des conférences épiscopales, des encycliques papales mais qui n’ont pas le même niveau d’autorité d’enseignement qu’un concile général. De plus tout en étant le dernier enseigne- ment en date, ce concile n’a pas encore été complètement « digéré » au sein de l’Église. En effet, sur certains points, des difficultés de réception perdurent encore aujourd’hui. 

Considérons tout d’abord l’événement conciliaire dans son ensemble, en tant qu’événement historique. Si Vatican II entendait s’inscrire dans une véritable continuité avec les conciles précédents, ceux de Trente (XVIe siècle) et de Vatican I (XIXe siècle) en particulier, il n’en présentait pas moins une véritable nouveauté. Le nombre d’évêques participants a largement dépassé les chiffres atteints dans le passé: lors de Vatican II, de 2100 à 2400 évêques ont été invités et la plupart ont été présents à Rome. De même la diversité des Églises représentées était sans précédent. C’est une « église-monde » en quelque sorte qui a été rassemblée, avec des évêques, des théologiens venant des cinq continents. On peut parler en ce sens d’un premier concile mondial où la diversité de toutes les cultures était d’une manière ou d’une autre représentée.

L’Église catholique est ici sortie de son européo-centrisme et cela n’a cessé de s’ac- centuer, avec la Conférence générale des évêques latino-américains, à Medellin, en Colombie en 1968, avec le Synode romain des évêques sur l’évangélisation en 1974, dont Paul VI tirera l’exhortation « Evangelii nuntiandi » et avec la Journée mondiale interreligieuse d’Assise en 1986 mentionnée précédemment. Ayant évoqué la diversité des Églises et des cultures présentes au concile, Joseph Famérée a rappelé que là n’était pas sa plus grande nouveauté.

Antérieurement, les conciles étaient le recours d’une Église qui pouvait se sentir menacée, soit du dehors soit du dedans, dans la pureté de sa foi ou la vigueur de sa discipline par des déviations, des erreurs ou des imprécisions doctrinales. Rien de tout cela au moment où se sont tenues les as- sises vaticanes de 1962-1965. Le pape Jean XXIII, qui avait eu l’idée de réunir ce concile général de l’Église catholique a écarté dès
le début toute idée de condamnation et d’anathème. Le 7 décembre 1965, la veille du dernier jour du concile, ont même été levés les anathèmes réciproques qui pesaient sur Rome et Constantinople – catholiques et orthodoxes – depuis 1054. Effectivement, Jean XXIII, dans son discours d’ouverture du concile, le 11 octobre 1962, s’en était pris à « tous les prophètes de malheur » prompts aux dénonciations et aux condamnations. Il ne s’agissait pas non plus de simplement ré- affirmer la doctrine traditionnelle qui n’était d’ailleurs pas vraiment contestée. Mais le pape précisait aussi, même si d’un point de vue linguistique et de philosophie du langage on peut discuter la formule, ce que ce concile devait avoir de libérateur pour la dogmatique catholique.

L’enjeu du concile, pour le pape comme pour son successeur, Paul VI, consistait donc en un renouveau de l’Église catholique grâce à une prise de conscience plus claire de sa réalité profonde: le ressourcement évangélique. Afin de rendre cette Église catholique plus apte à porter l’Évangile au monde d’aujourd’hui. C’est ce qu’on appellera l’« aggiornamento », la mise à jour. Il convient d’y ajouter, indissolublement, une autre finalité conciliaire, à savoir l’unité des chrétiens voulue explicitement par Jean XXIII dès l’annonce de son intention de convoquer le concile. On sent donc un esprit, un «spiritus », un « pneuma » nouveau, une orientation nouvelle qui va traverser de part en part Vatican II. On dira de ce concile qu’il a été pastoral, pour signifier qu’on ne voulait pas y définir de nouveaux dogmes ni condamner d’erreurs. Depuis lors, on a même parlé de la « pastoralita » de ce concile, la pastoralité du style conciliaire, pour dire son originalité dialogale, positive, foncièrement bienveillante vis-à-vis de ce qui n’était pas catholique.

Paul VI, pour sa part, parlera plus explicite- ment encore de la réforme de l’Église pour être mieux à même de parler au monde moderne et de l’appeler au Christ. Cette option fondamentale allait commander le choix des thèmes débattus et la nature des documents rédigés et promulgués.

Après l’événement conciliaire, Joseph Famérée s’est penché sur les thèmes de celui-ci, des thèmes qui n’avaient jamais été abordés jusque-là: la question de l’épiscopat – est-ce un sacrement, un degré de l’ordre ou un simple pouvoir de juridiction supérieur à celui du curé de paroisse ?; les prêtres et leur formation renouvelée ainsi que celle des laïcs; la vie religieuse et son renouveau; la Vierge Marie ; l’activité missionnaire de l’Église; la grande constitution pastorale sur l’Église dans le monde de ce temps, un des documents les plus neufs du concile; la position de l’Église catholique face au mouvement œcuménique, qui a débuté sans elle presque cinquante ans plus tôt; sa position vis-à-vis des religions non chrétiennes, de la religion hébraïque en particulier; et la liberté religieuse. Il s'agit donc d’une première dans l’histoire des conciles, en phase avec la Constitution sur l’Église dans le monde de ce temps et la Déclaration sur les relations entre l’Église catholique et les religions non chrétiennes.

C’est sans doute la Déclaration sur la liberté religieuse qui exprime de la manière la plus concrète cette nouvelle attitude de l’Église catholique vis-à-vis
du monde et, en particulier, du monde religieux non catholique. Contrairement à sa thèse récurrente jusque-là, tout au long du XIXe siècle et de la première moitié du XXe siècle, l’Église catholique, par cette déclaration, a renoncé au monopole religieux de droit qu’elle revendiquait dans les sociétés réputées traditionnellement catholiques, les autres confessions chré- tiennes étant simplement tolérées de fait tant qu’il n’était pas possible de faire au- trement. En 1965 donc, l’Église catholique, on ne peut plus officiellement, a renoncé à cette position privilégiée pour réclamer la liberté de droit et d’expression reconnue par les États pour toute religion dans la mesure où elles respectent l’ordre public démocratique. L’Église catholique a donc reconnu le droit à la liberté religieuse pour tous, un changement effectif, politique, social majeur de positionnement.

 

Monseigneur Marcel Lefebvre dont le lieu historique du mouvement n’est pas très éloigné de Genève, à Écône dans le canton du Valais, en Suisse, ne s’y était d’ailleurs pas trompé. La raison profonde de la rupture des intégristes lefebvristes, le schisme formel de 1988 avec l’Église catholique jusqu’à aujourd’hui, ne résident pas dans l’attachement à la liturgie anté-conciliaire mais bien plus radicalement dans une com- préhension différente de la place de l’Église dans le monde contemporain. Aux yeux des intégristes, l’Église devrait continuer de régenter moralement, politiquement, culturellement les sociétés. Les documents conciliaires les plus inacceptables pour les lefebvristes sont « Gaudium et spes »,la grande constitution sur la position de l’Église sur le monde de ce temps, mais aussi le Décret sur l’œcuménisme, la Dé- claration sur les relations avec les religions non chrétiennes et, surtout, la Déclaration sur la liberté religieuse. Ce sont ces documents qui, pour eux, rendent le concile Vatican II imbuvable et qui vont engendrer selon eux l’apostasie de la rencontre inter-religieuse d’Assise en 1986.

 

Cette nouveauté du concile s’est encore affirmée dans les actes de Vatican II : 16 documents, quelque 800 pages déclarées « una cum partibus », ensemble avec les pères conciliaires, collégialement, selon une nouvelle formule voulue par le pape Paul VI. Dans ces 16 documents s’y expriment de manière solennelle l’enseignement du magistère suprême de l’Église. Joseph Famérée a souhaité préciser leur cadre et leur style ecclésiologique.

Chaque séance du concile débutait par l’intronisation de l’Évangéliaire, au milieu de la nef de Saint-Pierre où allaient avoir lieu les discussions, pour constamment rappeler aux pères conciliaires que tout ce qui se faisait et se disait là devait être sous la parole de Dieu. C’est là qu’ont été levés les anathèmes réciproques entre Rome et Constantinople, d’une grande portée symbolique. De même chaque jour avait lieu une célébration eucharistique dans les différents rites existants dans l’Église catholique, non seulement le rite latin mais aussi tous les rites orientaux. Tout ceci a conféré un style à Vatican II, une manière de faire de la théologie et d’élaborer une doctrine. Jusque-là c’est le pape qui promulguait les décrets conciliaires, « sacro approbante concilio », le saint concile approuvant par ailleurs. Il s’agit donc d’une nouveauté dans la manière de percevoir les actes conciliaires.

Une autre caractéristique stylistique qui frappe d’emblée est l’absence de canon dogmatique. Le style judiciaire des condamnations et des anathématismes a été abandonné. Avant même de se pencher plus particulièrement sur la constitution dogmatique sur l’Église, « Lumen gentium », Joseph Famérée a tenu à resituer cette dernière dans l’architecture finale des actes de Vatican II. Lorsque l’on se penche sur l’ensemble des 16 documents conciliaires, on voit que le concile commence dans l’intra-ecclésial, dans la célébration de la liturgie, et se termine avec des documents d’ouverture sur le monde: l’apostolat des laïcs, la Déclaration sur les rapports de l’Église catholique et les religions non chrétiennes ; la Déclaration sur la liberté religieuse; celle sur l’activité missionnaire; la constitution pastorale « Gaudium et spes ».

Tout commence dans la liturgie et tout se termine sur les chemins du monde. Cette architecture finale a bien sûr quelque chose d’un peu fortuit mais il y réside néanmoins une part intentionnelle. Joseph Famérée y voit la dynamique missionnaire du concile, d’ouverture à l’autre qui a parcouru l’en- semble des travaux, une dialectique entre rassemblement ecclésial et dispersion missionnaire, entre « synaxis » et « diaspora ».

« Lumen gentium » : cette Constitution débute dans le mystère trinitaire et se clôt sur le caractère eschatologique de l’Église en marche et en union avec l’Église céleste. Le dernier chapitre évoque la bienheureuse Vierge Marie dans le mystère du Christ et de l’Église. Au terme de cette constitution, tout retourne au Royaume. On est bien loin d’une approche institutionnaliste et juridique de l’Église. Le chapitre 2 est ainsi consacré au peuple de Dieu dans son ensemble, volontairement classé avant ceux qui représentent deux catégories essentielles de l’Église, les pasteurs et les laïcs. Cette insertion intentionnelle de ce chapitre 2, qui précède la distinction des catégories à l’intérieur de ce peuple de Dieu est une façon de dire que ce qui est commun à tous les baptisés prime sur ce qui les distingue les uns des autres. De même le chapitre 5 porte sur l’appel universel à la sainteté. Tout le monde, sans exception, est appelé à la sainteté même si les religieux poursuivent cette sainteté selon une voie particulière. Ce n’est donc pas un monopole, comme on le croyait trop avant le concile. Le chapitre 7 pour sa part porte sur le caractère eschatologique de toute l’Église. Ceci prime ce qui est dit d’un membre singulier de l’Église, la Vierge Marie, au chapitre suivant.

Si l’on se penche sur la séquence des deux premiers chapitres, on sent bien que l’Église catholique exprime un désir de dialogue avec toutes les catégories d’êtres humains. C’est une manière pour l’Église catholique de montrer que personne n’est exclu du salut, ce qui est une interprétation qui diffère bien de l’« extra ecclesiam nulla salus », en dehors de l’Église, point de salut.

En ce qui concerne les religions non chrétiennes traitées dans le chapitre 16, l’ouverture tranche avec le passé : « enfin pour ceux qui n’ont pas encore reçu l’Évangile, eux aussi sont ordonnés au peuple de Dieu et en premier lieu, ce peuple qui reçut les alliances et les promesses et dont le Christ est issu selon la chair, peuple très aimé ... car Dieu ne regrette rien de ses dons ni de son appel. Mais le dessein du salut englobe également ceux qui reconnaissent le créateur, en tout premier lieu les musulmans qui, professant avoir la foi d’Abraham, adorent avec nous le Dieu unique, miséricordieux, futur juge des hommes au dernier jour. Et même des autres qui cherchent encore dans les ombres et sous des images un Dieu qu’ils ignorent. De ceux-là même Dieu n’est pas loin puisque c’est Lui qui donne à tous vie, souffle et toute chose. Et puisqu’il veut comme sauveur amener tous les hommes au salut. »

Comment l’Église catholique se rapporte- t-elle donc aux religions non chrétiennes ? Pour Joseph Famérée, le concile manifestement discerne plusieurs cercles concentriques de non-chrétiens, plus ou moins proches d’eux. Le premier cercle est occupé par le peuple juif, peuple élu dont le Christ est issu selon la chair. Cet enseignement qui sera développé dans la déclaration « Nostra Aetate » manifeste que l’Eglise catholique est en train d’abandonner l’enseignement du mépris sur l’Israël religieux ainsi que le langage sur l’enseignement de la pure substitution de l’Eglise chrétienne au peuple élu du Premier Testament. Il s’agit donc d’une véritable révolution pour la religion catholique.

Deuxième cercle concentrique: ceux qui re- connaissent le Créateur, les autres croyants monothéistes, en tout premier lieu les musulmans qui adorent le Dieu unique. Là également on peut renvoyer aux développements apportés par « Nostra Aetate ».

Troisième cercle concentrique: les autres, qui cherchent encore dans les ombres et sous des images un Dieu qu’ils ignorent. Ce sont les religions non monothéistes et, plus radicalement, les non-religieux, agnostiques qui ne connaissent pas mais cherchent. Même ceux-ci ne sont pas sans lien avec le peuple de Dieu. Pourquoi ? L’argumentation est unique et fondamentale: Dieu n’est loin d’aucun être humain. Tout individu qui ignore sans faute de sa part l’Évangile du Christ ainsi que son Église et qui agit selon sa conscience peut atteindre le salut éternel, a affirmé le concile. Le corollaire de cette conviction est le suivant: tout ce qui chez eux peut se trouver de bon et de vrai est considéré par l’Église comme une préparation évangélique et un don de Dieu qui illumine tout être humain.

Pour Joseph Famérée, c’est donc une vision positive par rapport aux décennies précédentes, quoiqu’un peu condescendante vis-à-vis des non-chrétiens, il convient de le reconnaître. Enfin, ce concile n’a pas ignoré combien, dans l’histoire humaine, la vérité peut être obscurcie ou même pervertie par le mensonge et l’erreur. Les pères conciliaires auraient été bien inspirés de reconnaître à cet endroit combien

la finitude, la faillibilité et le péché sont également présents dans l’Église, a ajouté Joseph Famérée. Ce nouveau rapport positif au monde apparaît encore plus dialogal et moins unilatéral dans la Constitution pastorale sur l’Église dans le monde de ce temps, « Gaudium et spes », qui souligne le rapport mutuel de l’Église et du monde, non seulement de ce que l’Église peut apporter au monde mais aussi de tout ce qu’elle peut recevoir du monde. Cette réciprocité dans la réception paraît aller plus loin que tout ce qui a été précédemment évoqué en matière d’ouverture à l’autre.

Dès la fin du concile, a rappelé Joseph Famérée, Paul VI va créer un dicastère consacré au dialogue interreligieux et un autre pour le dialogue avec les non- croyants. La Journée d’Assise de 1986, qui a indéniablement joué un rôle dans le schisme lefebvriste intervenu deux ans plus tard, a constitué un élément important de la réception du concile. C’est à l’audience générale du 22 octobre 1986 que Jean-Paul II a lui-même précisé la signification de ce rendez-vous. Il s’agit, a-t-il déclaré, d’un rassemblement des Églises, des communautés chrétiennes et des autres religions du monde afin de prier pour la paix. « C’est sans doute un événement singulier, de caractère reli- gieux, exclusivement religieux, c’est ainsi qu’il a été voulu et qu’il se déroulera avec la collaboration de tous les participants. Il sera marqué par la prière, par le jeûne et par le pèlerinage... J’ai confiance que, par la grâce du Seigneur, il sera vraiment un moment culminant de ce mouvement de prière pour la paix que j’ai souhaité à l’aube de 1986, année proclamée par les Nations Unies Année internationale de la paix. À Assise, tous les représentants des Églises et communautés chrétiennes et les religions du monde s’efforceront unique- ment d’implorer de Dieu le grand don de la paix. » Il est à souligner que certains dans l’Église catholique ont craint un grand rassemblement syncrétiste, a rap- pelé Joseph Famérée. Ce fut notamment la crainte de celui qui était alors préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, le cardinal Ratzinger, futur Benoît XVI. D’ailleurs, pour écarter toute idée de com- préhension syncrétiste de cet événement, une formule particulière avait été choisie : « être ensemble pour prier et non pas prier ensemble ».

Le 25e anniversaire de ce rassemblement d’Assise a été fêté en 2011 avec les différences suivantes. Tout d’abord, les représentants des différentes religions n’ont pas été présents ensemble sur l’esplanade de la basilique d’Assise. Les prières ont eu lieu dans des lieux séparés même si les délégations se sont retrouvées ensemble pour renouveler leur engagement pour la paix. Sans doute Benoît XVI craignait-il que l’événement prenne une tournure syncrétique plus que Jean-Paul II. Sans doute était-il aussi moins audacieux et intuitif dans les gestes symboliques. 

Sans doute avait-il aussi une approche moins positive et moins valorisante des religions non chrétiennes.

Une autre différence par rapport à 1986 a consisté dans le caractère non exclusivement religieux de la rencontre. Des agnostiques et des athées y ont aussi été invités. Peut-être Benoît XVI prenait-il plus positivement en compte que son prédécesseur le monde non croyant, lequel avait fait partie de sa formation intellectuelle et culturelle. On peut penser que le monde de l’incroyance et plus largement de l’indifférence religieuse était sans doute à ses yeux le véritable adversaire ou concurrent de la foi chrétienne en Occident.

L’esprit universaliste d’Assise en faveur de la paix s’est maintenu mais non sans inflexions, non sans une plus grande prudence et certaines réserves. Quelles que soient ces réserves, on a pu constater que certains acquis du concile en matière de dialogue interreligieux semblaient bien irréversibles. Le récent voyage du pape François aux Émirats arabes unis, où il a d’ailleurs rencontré le grand imam de l’Université Al-Azhar du Caire, a confirmé cette réception de l’ouverture au dialogue interreligieux par Vatican II.

Joseph Famérée n’a pu que souhaiter, en conclusion, que la même réception se réalise pour de multiples autres aspects de Vatican II en matière notamment de liturgie, d’œcuménisme, de responsabilité ecclésiale de tous les baptisés, d’exercice plus collégial et synodal de la gouvernance de l’Église catholique.

Alors, à quand Vatican III ?

Pour Joseph Famérée, nous ne sommes plus du tout dans la même configuration qu’en 1962-1965. Ce serait selon lui une catastrophe si les évêques d’aujourd’hui, avec leur nombre et leurs orientations, devaient tenir un concile sur les thèmes de celui de Vatican II. Le dynamisme ne serait certainement plus le même, notamment en matière d’ouverture à l’autre. Les positions seraient bien différentes, avec des tendances très identitaires. Alors que Vatican II avait été précédé par cinquante années de mouvements de renouveau au sein de l’Église catholique, bibliques, liturgiques, œcuméniques, qui avaient constitué toute une préparation au concile. En même temps, à l’époque il n’était absolument pas sûr que ce renouveau allait pouvoir aboutir. Sous le pontificat de Pie XII, au moment où l’Église catholique apparaissait encore comme une citadelle face au communisme soviétique et face aux sociétés modernes, qui aurait pu dire que quelques années plus tard aurait lieu Vatican II ?

 

AD MAJOREM DEI GLORIAM | Printemps 2019