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GRANDIR DE L'INTERIEUR

Qui aurait cru à l’aube de l’année 2020 qu’un ennemi invisible, un virus inconnu provoquant une maladie que le monde scientifique a prénommée «COVID-19», serait la cause, au niveau mondial, d’une des plus grandes crises sanitaires et économiques depuis la Grande Dépression? Un virus surprenant par ses formes diverses, asymptomatiques pour certains, sévères pour d’autres, allant jusqu’à la mort du patient malheureusement; un virus déroutant qui a non seulement fait beaucoup de victimes parmi les personnes âgées mais a sévi au-delà aussi...

Avec le déconfinement progressif, les frontières de la Suisse se sont rouvertes, laissant de nouveau libre champ au trafic touristique privé et au trafic commercial. Mais la crise est loin d’être passée: l’annonce de nouveaux foyers de la maladie ici et là démontre bien qu’il faut rester vigilants tant qu’un vaccin sérieux ne sera pas disponible.

« Ce “petit” virus a dévoilé, et bien malgré nous, notre grande fragilité »

N’est-il pas vrai que les nombreux articles sur le sujet nous donnent l’impression de connaître ce virus de mieux en mieux et que, paradoxalement, ce flux d’informations nous fait également réaliser que nous en savons de moins en moins... Car ce «petit» virus a dévoilé, et bien malgré nous, notre grande fragilité. Le pape François, dans une homélie du 8 mars 2020, nous proposait de renouveler notre confiance dans le Seigneur et d’affronter cette crise liée au COVID19 «avec la force de la foi, la certitude de l’espérance et la ferveur de la charité». Il est d’autre part intéressant d’entendre le philosophe et sociologue non croyant Edgar Morin souligner que «l’Homme s’est rendu à l’évidence qu’il n’est pas maître de sa vie» et qu’il devait donc, pour s’en sortir, «se réfugier dans des îlots de certitudes» et «se mobiliser intérieurement». (radio FranceInfo 04/05/20)

Et comme cette leçon d’humilité ne suffisait pas, nous, femmes et hommes habitués aux rythmes effrénés d’une vie cadencée par des horaires de travail, d’école ou d’université, de voyages ou d’évènements sociaux, nous nous sommes retrouvés tous confinés: en Suisse, dès la mi-mars, la population a été fortement encouragée et dans d’autres pays, contrainte par la loi à rester à la maison... Les réseaux sociaux, souvent décriés, ont permis cette fois-ci, pour ceux qui avaient la chance d’être connectés et de posséder un ordinateur, de continuer une vie presque normale grâce au télétravail, à l’école à distance, à la communication entre amis et famille... et de suivre la Sainte Messe.

Plus besoin par conséquent de se dépêcher pour sortir de chez soi... Nous avons pu en effet, jusqu’au 28 mai, regarder la messe dominicale ou même chaque jour, bien tranquillement installés dans un fauteuil, et qui plus est, grâce aux possibilités de streaming, à l’heure que nous avions choisie, si l’horaire proposé par le support médiatique ne convenait pas... En outre, jusqu’au 18 mai, date à laquelle les célébrations religieuses ont été autorisées en Italie, nous pouvions même suivre chaque jour la messe en semaine du pape François à Casa Santa Marta, célébration habituellement réservée à un public privé... Beaucoup de confort et de facilité donc...

L’internet n’est pas «un moyen de communion entièrement satisfaisant: on aime être ensemble de manière visible pour célébrer la messe. Nous ne sommes pas de purs esprits» Mgr Morerod

Mais le Pape ne tarde pas à nous mettre en garde justement contre cette «familiarité agnostique» dans une homélie à Casa Santa Marta (17/04/20). Tout en reconnaissant l’effort bienveillant du Saint Père et de tous les prêtres mobilisés pour faire partager aux fidèles la célébration dominicale et même quotidienne de la Sainte Messe, nous avons sans doute tous ressenti effectivement, comme Mgr Morerod le soulignait dans son entretien du 11 avril dernier avec le site catholique romand cath.ch, que même si le site internet de son diocèse pouvait retransmettre une célébration eucharistique, cette solution ne proposait pas «un moyen de communion entièrement satisfaisant: on aime être ensemble de manière visible pour célébrer la messe. Nous ne sommes pas de purs esprits.» Et comme le pape François l’a remarqué en de multiples occasions, l’Eglise est «communauté, peuple de Dieu et sacrements».

Dans son homélie du 17 avril 2020 à Santa Marta, il rappelait que «la célébration de la Sainte Messe sur les médias visuels n’est qu’une façon de sortir du tunnel». C’est la différence entre le réel et le virtuel... Ce jeûne eucharistique forcé, motivé par les raisons sanitaires que l’on sait, nous a sans doute fait réaliser combien recevoir le Corps du Christ nous manquait et que «nous nous rendions compte de ce qu’est l’essentiel, quand il vient à manquer vraiment», comme le souligne Mgr Lazzeri, évêque de Lugano, lors d’une rencontre virtuelle avec des jeunes le 9 mai 2020. Et si cela n’a pas été le cas, alors le Seigneur nous aura donné la grâce d’ouvrir les yeux sur toutes ces années où nous sommes allés à la messe sans peut-être avoir totalement compris le sens du sacrement de l’Eucharistie.

Par ailleurs, la Sainte Messe retransmise par les médias visuels ne doit pas faire oublier toutes les initiatives apostoliques que le confinement a suscitées. Nous ne pouvons en effet qu’éprouver beaucoup de gratitude pour toute la mobilisation générale du Saint Père, de prêtres et de tant de laïcs et laïques qui ont profité de toutes les possibilités offertes par la technologie pour réaliser des activités de formation (commentaires d’Evangile, méditations, causeries, retraites virtuelles etc.), et pour partager aussi le matériel de formation trouvé sur internet entre autres. Comment ne pas ressentir de la reconnaissance en effet pour les efforts du Saint Père à accompagner ses brebis tout au long de cette épreuve...Le monde entier aura gardé le souvenir de cette veillée de prière du 27 mars 2020, suivie de la bénédiction urbi et orbi exceptionnelle du Pape sur une place Saint-Pierre complètement déserte et humide. Mais beaucoup d’entre nous aussi garderont en mémoire l’engagement de tous ces prêtres mobilisés pour célébrer la messe «online», pour dire le chapelet quotidien sur les réseaux sociaux, pour commenter l’évangile du jour ou participer à des retraites virtuelles... Qui d’entre nous n’a pas reçu d’un(e) ami(e) bienveillant(e) un texte, une photo, une vidéo qui encourageait la réflexion et la prière?

«Le confinement est un facteur de renouveau pour l’Eglise car il a permis de redécouvrir la prière à la maison.» Mgr Morerod

Car une chose est certaine: avec la prière, cette épreuve, source de stress, de préoccupations et de tragédies humaines et économiques, est devenue union de coeurs avec toutes les personnes touchées par les conséquences de la pandémie: perte d’un être cher, expérience de la maladie, incertitudes pour son emploi ou même pour tout ce que l’avenir nous aurait réservé...Pour le mois de mai, le pape François nous a encouragés à prier le chapelet en famille, à la maison. D’ailleurs, Mgr Morerod pense que le confinement est «un facteur de renouveau pour l’Eglise» car il a permis de «redécouvrir la prière à la maison.» (cath.ch 04/20).

«Notre sainteté personnelle se trouve précisément là, dans les tâches ordinaires, dans les petites choses, dans notre travail.» Saint Josemaria

Grâce à notre prière, nous nous sommes rendu compte que tout ce qui nous arrivait était en fait un petit appel de Dieu à Le servir, à grandir de l’intérieur: avoir plus de patience avec les personnes qui vivaient 24h sur 24 avec nous pendant le confinement , avec les enfants qu’il fallait suivre et occuper en redoublant d’imagination, avec le partage de l’ordinateur entre les autres membres de la famille, pour trouver le temps aussi d’appeler une personne seule ou de porter les commissions à une personne qui ne pouvait pas sortir. Peut-être ce confinement nous aura-t-il permis de réaliser que c’est dans la vie de tous les jours que nous devons nous efforcer de trouver le Seigneur, et que notre sainteté personnelle se trouve précisément là, dans les tâches ordinaires, dans les petites choses, dans notre travail, comme le rappelait si souvent saint Josemaria, fondateur de l’Opus Dei. De façon certaine, ce confinement nous aura permis d’ouvrir les yeux sur les autres et de réaliser que nous ne pouvons pas continuer à vivre de façon égoïste, sans nous soucier du monde qui nous entoure, car «si un membre souffre, tous souffrent avec lui» (1 Cor 12, 26).

«Quand on ne prend pas soin des personnes âgées, il n’y a pas de futur pour les jeunes.» Pape François

Espérons également que nous aurons grandi en charité et que nous ne regarderons plus jamais de la même façon nos anciens. Le pape François, à l’occasion de la Journée mondiale de sensibilisation à la maltraitance des personnes âgées du 15 juin 2020, a publié sur Twitter, et en toutes les langues, que «la pandémie de COVID19 a révélé que nos sociétés ne sont pas assez organisées pour laisser une juste place aux personnes âgées, en respectant leur dignité et leur fragilité». Et d’ajouter : «Quand on ne prend pas soin des personnes âgées, il n’y a pas de futur pour les jeunes». Quant aux démonstrations visibles de soutien pour les profession en première ligne de la «guerre» contre le virus: docteurs, infirmières, ambulanciers, elles laissent à penser que nous regarderons ces professionnels de la santé peut-être avec plus de charité quand ils exprimeront leurs revendications. Mais nous rappellerons-nous vraiment du service rendu par toutes les autres personnes qui nous ont permis de continuer à vivre dignement cette pandémie? Tous les employés des supermarchés, et ceux de la voie publique, les éboueurs, les agents de police, les pompiers, les conducteurs de transport de personnes et de marchandises, et ces nombreuses personnes qui, par leur travail, nous ont rendu pendant le confinement, et nous rendent tous les jours, la vie plus facile.

«La folie c’est de se comporter de la même manière etde s’attendre à un résultat différent.» Albert Einstein

Car c’est bien là tout l’enjeu de l’épreuve que nous venons de vivre: croire dans l’espérance de jours meilleurs, meilleurs car différents de l’avant COVID19. Albert Einstein a dit que «la folie c’est de se comporter de la même manière et de s’attendre à un résultat différent». Pouvons-nous vraiment espérer retourner à nos vies frénétiques? Pouvons-nous vraiment espérer devenir à nouveau indifférents envers les personnes les plus faibles, et aveugles vis-à-vis des besoins des gens qui nous entourent au quotidien? Pouvons-nous espérer vraiment retourner à l’église comme nous en avions peut-être l’habitude... Peut-être pas tous les dimanches, et pas toujours ponctuels, en partant très vite dès la bénédiction finale?

Loin d’être une punition envoyée par Dieu, car «le Seigneur n’est ni un agent de police, ni un juge ou un roi susceptible et vindicatif» (homélie du Pape à Casa Santa Marta le 11 mars 2020), la pandémie nous a donné la chance de comprendre » combien notre société est individualiste » et qu’il nous faut redécouvrir que nous sommes communauté, parole si souvent employée par le Saint Père dans ses homélies pendant la pandémie. Mgr Félix Gmür, président de la Conférence des évêques de Suisse, remarque à ce sujet que la pandémie a donné l’occasion aux «chrétiennes et chrétiens d’être là pour les autres» et que «cela est précisément le plus beau et plus grand devoir de l’Eglise» (Aargauer Zeitung 21.03.20). De plus, l’absence interminable du sacrement de l’Eucharistie, qui commençait à peser dans nos relations avec les autres, et peut-être dans l’apparition d’un certain découragement, nous a montré très clairement que «de même qu’il est impossible de nourrir son corps au travers d’internet, de même le chrétien a besoin de recevoir physiquement le Corps du Christ pour vivre » et que, comme pour l’amour humain, «nous avons besoin de ce contact physique pour exprimer notre amour pour le Seigneur» (Mgr Delpini, archevêque de Milan).

«Afin que tu puisses raconter à ton fils, et au fils de ton fils. La vie se fait Histoire.» Pape François

Un politique français a dit que «cette crise appelle un devoir d’humilité», et c’est peut-être la plus grande leçon de cette épreuve: il est important de réaliser que, s’il n’est pas toujours en notre pouvoir de changer l’environnement où nous vivons, nous pouvons souvent changer la façon dont nous réagissons, pour en faire quelque chose de beaucoup plus grand que nous. Et nous pourrons ainsi, à propos de la pandémie du COVID19, pour reprendre le message presque prophétique du pape François publié le 24 janvier 2020 pour la 54ème Journée mondiale des communications sociales, «narrer des récits qui construisent, des récits qui aident à retrouver des racines et la force d’aller de l’avant ensemble. Dans la confusion des voix et des messages qui nous entourent, nous avons besoin d’un récit humain, qui parle de nous et de la beauté qui nous habite. Un récit qui sache regarder le monde et les évènements avec tendresse, qui raconte que nous faisons partie d’un tissu vivant ; qui révèle l’entrelacement des fils par lesquels nous sommes rattachés les uns aux autres.»

Ce temps de crise nous a parlé et nous parle encore : «Afin que tu puisses raconter à ton fils et au fils de ton fils» (Ex.10,2). La vie se fait Histoire.
(Pape François, 24/01/20).

Marie-Pierre Barbieri

Head of News and Communications at Opus Dei, Switzerland

Responsable du service d'information et de communication de l'Opus Dei en Suisse

 

| AD MAJOREM DEI GLORIAM | Fall 2020