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RENCONTRE AVEC DIEGO INNOCENZI, MAÎTRE DE L'ORGUE

Diego Innocenzi est titulaire des orgues du Victoria Hall et des temples de Saint- Gervais et de Vandœuvres à Genève. Il enseigne l’orgue au Conservatoire de Musique de Genève et donne également des concerts dans le monde entier. Il a bien voulu accorder une interview à AD MAJOREM DEI GLORIAM. Coup de projecteur sur une personnalité dont Genève peut s’enorgueillir d’être devenue le port d’attache.

D MAJOREM (AM) : Diego Innocenzi, depuis quand jouez-vous de l’orgue à Genève ?

Diego Innocenzi (DI) : 

J’ai eu la chance de pouvoir jouer de mon instrument tout de suite à mon arrivée à Genève, il y a vingt-et-un ans. J’ai commencé à travailler comme organiste à l’église Saint-Antoine de Padoue et j’accompagnais des messes et la chorale à l’église du Lignon touT en poursuivant mes études musicales. Parallèlement, je jouais aussi en alternance au temple de Malagnou. Puis, je suis devenu organiste titulaire du temple de Vandœuvres il y a quinze ans, puis du temple de Saint-Gervais depuis dix ans et pour finir au Victoria Hall depuis cinq ans.

A la fin de ma formation d’organiste et de chef de chœur, j’ai pu mettre en œuvre un certain nombre d’activités dans le domaine de la musique liturgique. Ainsi, après ma nomination à la paroisse de Vandoeuvres, j’ai proposé d’organiser un cycle de cultes choraux. C’est un cadre idéal pour mettre la musique sacrée au centre de la liturgie car, la plupart du temps, cette musique est jouée dans des lieux profanes. C’est ainsi, que depuis quinze ans, tous les deuxièmes dimanches de septembre à juin, il y a un culte choral au temple de Vandœuvres.

A Saint-Gervais, c’est un concept différent. L’Eglise protestante de Genève avait créé un espace ouvert au cœur de la ville pour développer un lieu de rencontre autour d’activités cultuelles, spirituelles et culturelles. J’ai pu lancer des projets originaux comme des concerts associant l’orgue à la danse ou à la vidéo, des cultes cantates accompagnés par des musiciens professionnels ou encore des méditations musicales.

Au Victoria Hall, ma fonction est complètement différente. J’y interviens en qualité d’organiste de la Ville de Genève avec une double mission : veiller à la conservation de l’instrument, imaginer la programmation musicale et développer la médiation culturelle autour du plus grand instrument de la ville.

AM : D’où venez-vous Diego Innocenzi ?

DI : Je suis né à San Isidro, tout près de Buenos Aires en Argentine, en 1971, au sein d’une famille protestante d’origine italienne. A seize ans, je suis entré pour la première fois dans la cathédrale de ma ville et j’ai découvert son orgue Cavaillé-Coll. L’instrument m’a fasciné. Une année plus tard, j’ai eu la chance d’en devenir titulaire.

AM : Seize ans, est-ce un âge tardif pour débuter une carrière d’organiste ?

DI : Il y avait eu une étape précédente dont je n’ai pas encore parlé. A neuf ans, j’avais commencé à jouer de l’harmonium dans mon église. J’ai donc commencé très jeune à accompagner des cantiques. J’ai très vite été passionné par la musique sacrée. A quatorze ans, mon professeur de piano m’a fait découvrir la musique pour orgue de J. S. Bach que j’ai immédiatement adorée. La sonorité de l’orgue me transportait. Ayant appris qu’il y avait des concerts d’orgue chaque semaine à Buenos Aires, j’ai commencé à les suivre régulièrement. Ma vie a complètement changé lorsque je suis entré au Conservatoire Juan José Castro où j’ai pu travailler avec une excellente professeure de piano et chanter dans un chœur de qualité. A la même époque,
j’ai réalisé mon rêve : travailler l’orgue sérieusement. A la fin de mes études en Argentine, je suis venu à Genève. J’ai eu la chance de rencontrer Lionel Rogg, un organiste d’envergure internationale qui a marqué plusieurs générations depuis les années 1970 et qui était depuis des années ma référence absolue. Je l’ai rencontré pour la première fois au Victoria Hall. Je ne pouvais pas alors imaginer que dix-sept ans plus tard, j’allais devenir son successeur dans ce même lieu. Il m’a proposé d’entrer dans sa classe l’année suivante. J’ai failli tomber en syncope... Je suis rentré en Argentine où j’ai passé mon examen final de piano et je suis revenu à Genève, sans bourse. J’avais réussi à économiser 5’000 dollars en donnant des cours de piano. J’avais calculé que je pouvais tenir cinq mois avec cette somme !

AM : Quel aboutissement !

DI : Je me souviens avoir pris un café avec Lionel Rogg le lendemain de mon retour à Genève et, avec mes trois mots de français, de lui avoir dit que je n’avais pas de « borsa ». Il est resté interloqués ! Finalement, les choses ont fini par s’arranger.

AM : Pas de regret d’avoir quitté l’Argentine ? Pas de mal du pays ?

DI: Aucun. Dans les années ayant
précédé mon départ, avec des amis du conservatoire, nous passions des nuits entières à rêver des lieux où nous pourrions aller faire nos études. Nous avions une soif immense de culture. Je lisais chaque semaine une brochure consacrée à l’architecture des grandes églises du monde. Sortir du pays était alors un rêve qui a fini par se réaliser. Et, depuis quatre ans, je retourne régulièrement dans mon pays où je travaille pour le gouvernement argentin qui m’a engagé en tant qu’expert pour la construction d’un orgue dans le Centro Cultural Kirchner à Buenos Aires.Je trouve extraordinaire après toutes ces années passées en Europe de pouvoir faire bénéficier mon pays de l’expérience que j’ai pu y acquérir. L’an dernier, nous avons inauguré le nouvel instrument. J’ai donné une master class et des concerts, cela a été un moment formidable. J’ai rencontré une nouvelle génération de musiciens assoiffée de culture, comme je pouvais l’être à l’époque. J’étais donc très heureux de pouvoir répondre à leurs attentes.

AM : Genève est-elle un bon terreau en terme de formation d’organistes ?

DI : Oui. Lionel Rogg a joué un rôle considérable dans ce domaine. Pour ma part, je travaille depuis de nombreuses années à sensibiliser les enfants à la découverte de l’orgue. Il y a beaucoup à faire. Depuis dix ans, j’organise des stages pour le Département genevois de l’Instruction Publique, de la Culture et du Sport à destination des classes des écoles primaires. Par ailleurs, j’ai récemment fait installer au Conservatoire un petit pédalier d’orgue adapté à la taille des enfants.

AM : Comme beaucoup d’organistes, complétez-vous vos activités d’enseignant et de concertiste par des missions d’expertise technique ?

DI : Ce dernier volet est une compétence supplémentaire qui s’est imposée petit à petit. Depuis toujours, j’ai été en relation étroite avec des facteurs d’orgue. La manière d’améliorer les instruments me passionne. En tant que musicien, il faut parfois savoir renoncer à ses goûts personnels lorsque l’on aide à la naissance ou à la renaissance d’un instrument. Il faut aussi concilier les attentes des différents intéressés : paroisses, organistes et public. Récemment, j’ai ainsi participé à la restauration de l’orgue de l’église Sainte-Clotilde, à la Jonction. Il s’agit d’un orgue romantique qui dispose de toute la technologie de pointe. J’ai aussi initié la construction d’un orgue de style espagnol à l’église Saint-Julien de Meyrin, un type d’instrument qui manquait à Genève. Enfin, j’ai conseillé la restauration des orgues du temple de Cologny et de l’église Notre- Dame des Grâces du Grand-Lancy.

"A chaque fois que j’ai proposé quelque chose à Genève, j’ai toujours rencontré quelqu’un qui m’a aidé à aller au bout de mon idée. "

AM : Ces projets sont une autre manière de rendre à Genève ce qu’elle vous a donné ?

DI : On peut le dire ainsi. A chaque fois que j’ai proposé quelque chose à Genève, j’ai toujours rencontré quelqu’un qui m’a aidé à aller au bout de mon idée. Ce qui m’a permis de nouer des liens professionnels très forts et des amitiés solides.

AM : Ce qui ne vous empêche pas de vous échapper régulièrement pour de nombreuses tournées dans le monde ?

DI: En France, en Italie, aux Etats-Unis, en Amérique latine, en Russie, en Chine et jusqu’en Suisse alémanique !

 

AD MAJOREM DEI GLORIAM | Hiver 2017