Rédaction (Réd.) : Sadek Neaimi, dites-nous d’abord qui vous êtes.
Sadek Neaimi (SN) : Je suis égyptien, originaire de la Basse-Egypte, spécialiste de la littérature et historien des idées
au XVIIIème siècle, le fameux siècle des Lumières, qui a compté parmi ses principaux auteurs Beaumarchais, D’Alembert, Diderot, Marivaux, Montesquieu, Rousseau et bien sûr le grand Voltaire.
Réd. : Vous avez donc fait vos études en Egypte ?
SN : Je les ai en effet débutées en Egypte. Ma langue maternelle est l’arabe et j’ai commencé mon apprentissage de la langue française à l’âge de douze ans. Après un baccalauréat littéraire je suis entré à la faculté des lettres de l’université de Zagazig où j’ai choisi l’étude de la langue française. J’y ai été nommé assistant en lettres et j’ai eu l’occasion de voyager plusieurs fois en France.Grâce à une bourse égyptienne j’ai pu venir étudier à Genève où j’ai obtenu le diplôme des études supérieures (D.E. S) sur le Siècle des Lumières, avec le professeur Alain Grosrichard. C’est ainsi que j’ai eu l’occasion de rencontrer de grands intellectuels genevois comme Jean Starobinski qui vient de nous quitter. Puis j’ai fait ma thèse à La Sorbonne Paris IV, avec le professeur Jacques Berchtold, qui dirige actuellement la Fondation Martin Bodmer. J’ai publié L’Islam au Siècle des Lumières, L’Harmattan, Paris (2003). Dans cet ouvrage, j’ai cherché à comprendre les bases intellectuelles de la réception de la civilisation islamique dans la mentalité occidentale de l'Europe moderne, la philosophie du siècle des Lumières étant le fondement intellectuel de l'Occident contemporain. Il y a deux ans j’ai publié la superstition raisonnable: la mythologie pharaonique au siècle des Lumières, Classiques Garnier (2016) dans lequel je fais voir que les philosophes et les écrivains du XVIIIème siècle considèrent l'Egypte ancienne comme étant le berceau des arts et des sciences, mais aussi l'origine de cultes irrationnels.
Ce qui m’intéressait était de montrer comment les philosophes comme Boulanger ou Voltaire voyaient le berceau de la religion monothéiste ; comment les Juifs, ou plutôt les anciens hébreux qui vivaient dans l’Egypte antique, ont acquis nombre de principes religieux de ce pays, qui sont ensuite passés dans le christianisme et dans l’Islam ; comment les francs-maçons se sont inspirés de l’Egypte ancienne pour porter un nouveau regard sur la vie, comme chez Mozart dans La Flûte enchantée ; et comment utiliser la mythologie comme source d’inspiration en littérature, comme dans certains romans, tel Le Taureau blanc de Voltaire.
Et puis, après avoir enseigné en Egypte durant quelque vingt années, j’ai pris une retraite anticipée. Mais j’ai toujours des doctorants et j’anime toujours des séminaires en Egypte. Et j’ai récemment créé Mots Arts, ici, à Genève, qui est en quelque sorte mon violon d’Ingres.
« le travail éloigne de nous trois grands maux : l'ennui, le vice et le besoin ».
Réd. : Comment vous est venue l’idée de créer cet espace culturel ?
SN : Comme l’a écrit Voltaire dans la conclusion de Candide : « le travail éloigne de nous trois grands maux : l'ennui, le vice et le besoin ». Et j’ajouterai: la monotonie. Je fais donc comme Candide, je cultive mon jardin. Avant Mots Arts, j’avais créé un salon littéraire à Chêne-Bougeries, que j’ai animé durant quinze ans. Je m’étais alors inspiré d’une idée que j’avais eue au Caire. Regrouper une élite intellectuelle autour d’œuvres littéraires. Dans le cadre de ce salon, j’ai eu le plaisir d’inviter de nombreux écrivains de Suisse romande comme Sylviane Dupuis, Daniel de Roulet, Vahé Godel, Mathilde Fischer, Laurent Cennamon qui a d’ailleurs fait sa première lecture publique à Chêne-Bougeries il y a onze ans.
Réd. : Quelles sont les activités de Mots Arts ?
SN : Il y en a trois principalement: tout d’abord, des rencontres intellectuelles et littéraires, qui s’inscrivent dans la continuité du salon de Chêne-Bougeries, mais qui contrairement à ce dernier sont ouvertes à tous ; le second axe est Ciné Mots, avec des projections de films suivies de débats ; enfin, des expositions d’œuvres d’art - peinture, photographie.
Réd. : Vous êtes seul à animer Mots Arts ?
SN : Deux personnes me donnent un
coup de main à titre amical. Julien Wey, un spécialiste d'image et de son, pour le cinéma, et Violette Mandry, doctorante en histoire d'art à l’université de Constance (Allemagne), commissaire chargée de certaines expositions.
Réd. : Quels sont les artistes actuellement exposés ?
SN : Je viens d’exposer deux peintres, Grégoire Murith, bien connu à Genève pour ses travaux typographique, graphique et artistique, et Momar Seck qui vient de Dakar, Sénégal, et enseigne les arts plastiques à l’Ecole Internationale, la photographe Christelle Villégier. Je vais également exposer cette année une artiste- peintre parisienne, Caroline Guth.
En ce qui concerne la littérature, nous venons de recevoir Daniel de Roulet pour son récent livre, « Dix petites anarchistes », dix jeunes jurassiennes qui au, XIXème siècle, font le pari insensé de bâtir, à l'autre bout du monde, une communauté où régnerait l'anarchie à l'état pur.
Et nous allons projeter « Le voleur de bicyclette », le chef d’œuvre de Vittorio de Sica, avec un débat sur le thème « engagement et esthétique ».
Comme je l’ai déjà dit, nous venons de débuter et nous sommes en train de nous constituer un public.
Réd. : Qu’est-ce que l’avenir, pour vous, Sadek Neaimi ?
SN : Je ne sais pas.
Réd. : Soyez optimiste !
SN : Franchement, je ne sais pas. On ne peut pas être plus optimiste que ça !
Mots Arts
3 rue du Léman, 1201 Genève (Pâquis)
Tél. 077 489 77 12 espaceculture3@gmail.com https://motsartsgeneve.wixsite.com/espace
AD MAJOREM DEI GLORIAM | Printemps 2019