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LE BIG BANG ET APRÈS: LA PLACE DE L’HOMME DANS L’UNIVERS

Physique et métaphysique semblent converger vers les deux faces d’une même réalité au point qu’on en vient à oser parler d’une spiritualité du cosmos.

Révélant l’ancienne alliance entre l’homme et le cosmos – nous sommes tous des poussières d’étoiles – la cosmologie moderne a au contraire ré-enchanté le monde selon le professeur Trinh Xuan Thuan. Elle démontrerait comment l’univers a été réglé de façon extrêmement précise pour permettre l’émergence de la vie et de la conscience. Selon l’astrophysicien, «si l’univers est si grand, c’est pour accommoder la présence d’un observateur qui va s’émerveiller devant sa beauté, son harmonie et sa complexité, et lui donner un sens. »

« La mélodie secrète. Le chaos et l’harmonie. L’in ni dans la paume de la main. Désir d’in ni. C’est toute la polyphonie de quelques-uns des titres de l’œuvre du professeur Thuan », a rappelé Yves Oltramare dont la fondation a organisé la conférence de l’astrophysicien en partenariat avec l’Université de Genève en 2016. « À eux seuls ils m’ont fait rêver et invité ma curiosité à pénétrer dans
les arcanes vertigineux du cosmos.

J’y découvrais comme une suite de la prodigieuse intuition de Teilhard de Chardin qui plaçait la théorie darwinienne dans une perspective d’une évolution orientée et prédéterminée. En e et, les récentes découvertes de l’astrophysique et de la cosmologie sont en passe de valider sa vision en réussissant cette merveille de reconstituer le passé de l’homme jusqu’à ses plus lointaines origines. Elles m’ont ouvert des horizons insoupçonnés sur la provenance de la vie et surtout de notre ascendance. Vous m’avez révélé que l’univers avait une histoire, qu’il est réglé de façon stupéfiante et, que de l’infiniment petit naît l’infiniment grand.

Physique et métaphysique semblent converger vers les deux faces d’une même réalité au point qu’on en vient à oser parler d’une spiritualité du cosmos. Dans ce même auditoire, j’écoutais il y a quelque temps une conférence de Pascal Picq, paléoanthropologue français, sur notre ancêtre le grand singe. Mais dans l’histoire de l’évolution, les grands singes, c’est tout récent. Qui étaient leurs ancêtres ? Bergson, fort des théories de Darwin, admet un schéma génétique qui ferait remonter la construction du corps humain au plancton. Toutefois, il n’exclut pas l’intervention d’un sou e sacré, c’est son expression. Il y aurait donc bien un créateur, création ex nihilo, ou génération spontanée. C’est à ce stade que l’œuvre du professeur Thuan m’a ouvert les yeux sur le chaînon manquant qui faisait défaut tant à Bergson qu’à Teilhard de Chardin. Sur la base des théories du big-bang, chacun d’entre nous, remontant dans le temps, et bien avant les grands singes, a passé par tous les stades de l’évolution sans s’arrêter au plancton. L’histoire du cosmos a commencé il y a quelque 14 milliards d’années par une foudroyante expansion d’une source première d’énergie.

Tout ce que nous percevons et connaissons converge vers cet insondable mystère. Qui est à l’origine de cette énergie ? Pourquoi le temps et l’espace se sont-ils mis en marche avec le big-bang ? Que se passait-il une demi-seconde avant ? Pour l’instant et peut-être pour toujours, tout converge vers le mystère. Notre époque connaît sur le plan scienti que un moment qui restera dans l’histoire aussi prodigieux que fut la Renaissance. L’astrophysique est en train de bouleverser notre conception du monde. Le fait que nous soyons une émanation de l’univers me fascine pour les raisons suivantes : elle illustre d’abord notre lien de parenté avec la totalité de l’univers et, par voie de conséquence,notre généalogie commune avec tous les êtres vivants, quel que soit leur degré d’évolution. Poussières d’étoiles, nous sommes atomiquement apparentés au cosmos. Cet apparentement expliquerait-il cette nostalgie des hommes à communiquer avec cette source première, ce sou e créateur, à travers la multiplicité de rituels religieux ? L’humanité est l’une des composantes de cet univers où tout est connecté. Si l’une des composantes s’en détache, elle se condamne à disparaître. Quel sens aurait le cosmos si la conscience dont nous sommes apparemment les seuls porteurs venait à disparaître ? C’est bien de la place de l’homme dans l’univers dont il s’agit et sur laquelle nous nous interrogeons », a conclu Yves Oltramare en invitant le professeur Thuan à faire valoir son point de vue sur « cette redoutable mais passionnante énigme ».

Aujourd’hui, on sait que l’univers observable contient quelque 200 à 300 milliards de galaxies, chacune d’entre elles contenant des centaines de milliards de soleils.

« Durant 20 siècles, l’homme a pensé qu’il était au centre du monde », sinon le centre du monde, a rappelé le professeur Thuan. C’est en 1643 que Copernic a délogé l’homme de la place centrale qu’il pensait occuper dans cet univers et qu’il a relégué la Terre au rang d’une simple planète. Depuis, l’astrophysique n’a cessé de rapetisser l’homme tant dans l’espace que dans le temps. Dès lors, l’univers se soucierait donc comme d’une guigne de notre présence en son sein et nous n’y aurions aucun rôle à jouer ? Ce n’est pas l’opinion du professeur Thuan. Au contraire, la cosmologie moderne a « ré- enchanté le monde » en démontrant notre interdépendance avec l’univers. Elle nous a également appris que l’univers a été réglé de façon extrêmement précise, précision qui a justement permis l’apparition des étoiles, de la vie et en n de la conscience. Précision qui, dans de nombreuses civilisations, a été attribuée à l’œuvre des dieux : en Égypte, la princesse Nout, le dieu Shiva en Inde, le Yin et le Yang en Orient. Ce n’est qu’au cinquième siècle avant notre ère que, en Grèce, une poignée d’hommes extraordinaires a fait valoir que la raison humaine pouvait comprendre les lois physiques qui réglaient l’univers. Et qu’il ne fallait pas s’abandonner aveuglément aux actes des dieux.

Aujourd’hui, on sait que l’univers observable contient quelque 200 à 300 milliards de galaxies, chacune d’entre elles contenant des centaines de milliards de soleils. Ces galaxies ne sont pas distribuées au hasard dans l’univers. La gravité les rassemble et les structure en une immense toile cosmique qui ne doit rien au hasard. La théorie du big-bang veut que l’univers soit parti d’un point extrêmement petit à partir duquel l’espace se serait dilué lors d’un « grand boum ». Ce « boum » serait une explosion qui se serait produite dans un silence complet. A l’époque (!), il n’y aurait eu aucune matière pour en transmettre le son. Cette explosion, en fait une expansion, se poursuivrait encore de nos jours, à en croire les scientifiques.

L’univers a été réglé de façon extrêmement précise, c’est ce qui a permis l’apparition des étoiles, puis de la vie et de la conscience .

En effet, pour le professeur Thuan, « de plus en plus d’espace se crée entre les galaxies à mesure que les secondes s’égrènent. Cette théorie du big-bang, les physiciens l’extrapolent jusqu’à 10-43 secondes du temps zéro. À ce jour la physique repose sur deux théories distinctes qui décrivent deux  régimes, celui de l’infiniment petit soit la mécanique quantique, la physique des atomes et des particules, et celui de l’infiniment grand décrit dans la théorie de la relativité d’Einstein. Actuellement on ne sait pas encore uni er ces deux théories, raison du fameux mur de Planck, ce temps de 10-43 secondes, qui fait que l’on ne connaît pas l’origine des choses. Il y aurait donc un vide qui ne serait pas dénué de tout, mais rempli d’énergie ». C’est la fameuse formule d’Einstein, E=MC2, qui exprime l’équivalence entre la masse et l’énergie. Pour résumer, « on ne connaît pas les 95% de l’univers et un rapetissement dans l’espace signi e également un rapetissement dans le temps ». Il y a peu, lorsque l’on parlait de l’univers, on parlait de notre univers. Aujourd’hui des chercheurs pensent qu’il existe une multitude d’autres univers parallèles au nôtre, ce qu’on nomme les multivers, un concept qui n’a cependant pas été démontré à ce jour et qui, selon le professeur Thuan, n’est peut-être pas du tout démontrable car non observable et non falsifiable - voir à ce sujet les études de Karl Popper, philosophe des sciences - et qui, de plus, va à l’encontre de la méthode expérimentale de la science. Pour le professeur Thuan, quelles conséquences philosophiques pouvons-nous tirer de tout cela ?

 

Le professeur Trinh Xuan Thuan est né à Hanoï, au Vietnam, en 1948. Il a effectué sa scolarité à Saïgon, au lycée français Jean- Jacques-Rousseau. A l’issue de celle-ci, il est entré à l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne et a poursuivi ses études dans différentes prestigieuses universités aux   États-Unis, notamment au California Institute of Technology et à Princeton où il a obtenu un doctorat en 1974. Le professeur Thuan est un spécialiste de l’évolution des galaxies, notamment des galaxies bleues, compactes, naines. Par ailleurs, il est l’auteur de nombreux articles scientifiques ainsi que de 14 ouvrages destinés au grand public consacrés notamment à la place de l’être humain dans l’univers. Le professeur Thuan donne un cours, à l’université de Virginie, intitulé « astronomie pour les poètes ».