Skip to main content

CATHERINE CHALIER : COMMENT LIRE LA TORAH

Auteure de « Lire la Torah » paru en 2014 aux Editions Seuil, Catherine Chalier était à Genève en ce début d’année. Elle s’est exprimée à l’Espace-Fusterie sur son approche de ce texte.

Pourquoi avoir écrit ce livre ? « A la montée des fondamentalismes – juifs, chrétiens ou musulmans – les milieux intellectuels pensent qu’il faut opposer des lectures des textes bibliques marquées par l’apport des sciences humaines, par l’histoire, à savoir par tout l’appareil critique qu’on nomme historico-critique ». Au travers de son ouvrage, Catherine Chalier a voulu montrer que si l’on s’enferme dans cette alternative, le fondamentalisme d’une part et l’étude historico-critique de ces textes bibliques d’autre part, nous ne pourrons jamais sortir de ce « déchirement » que vivent actuellement nos sociétés.

« le fondamentalisme, outre les figures haineuses qu’il peut prendre, c’est d’abord un sentiment que tout ce que l’Histoire a charrié en matière d’interprétation et d’innovation dans le comportement humain, dans la façon de rendre un culte et d’aimer et servir son dieu est une longue dégénérescence, un long abandon de ce qu’on aurait jamais dû quitter». 

En somme, une non confiance en l’humain et en ses capacités de penser, de cheminer en étant nourri par une parole. Si le fondamentalisme se sert des textes bibliques pour chercher à justifier les aspects les plus sombres de l’être humain, en particulier la violence, les méthodes historico-critiques montrent pour leur part que le passé auquel se réfère le fondamentalisme est un passé complètement mythifié. Mais en voulant déconstruire ce passé, en tentant d’expliquer que des événements décrits dans des textes comme la Torah n’ont pas eu lieu, on promeut l’apport des sciences exactes et des sciences humaines au rôle de critère pour démythifier ce passé en plaçant alors une confiance totale en les capacités humaines de raison et de critique.

Catherine Chalier insiste sur le fait qu’il existe un point commun entre les deux approches. Elles sont toutes deux tournées vers le passé, soit pour le vénérer, soit pour le déconstruire.

Reste alors en suspens la question par excellence : que représentent ces textes pour nous, aujourd’hui ? Catherine Chalier propose une autre façon de les aborder, par l’intermédiaire d’une lecture spirituelle s’appuyant sur celle dont les juifs les ont lus et étudiés au fil du temps. Pour les juifs, explique-t-elle, étudier est un précepte, une nécessité vitale, d’autant qu’ils ont été pris entre deux feux culturels durant des siècles, le christianisme et l’Islam. Autre raison : dans la tradition juive, la Torah écrite - l‘enseignement – est absolument inséparable de la Torah orale, « celle qui est sur la bouche ». Il n’est pas possible de lire la Torah sans se référer à ses commentaires afin de dialoguer avec les maîtres du passé et ainsi la faire vivre et se renouveler.

Dans la tradition catholique, selon Catherine Chalier, cette approche était affaire de clerc, à laquelle le peuple n’était pas associé. Pour simplifier, Jésus était au centre et cela était suffisant. Dans le judaïsme, c’est en interprétant la Torah que les juifs au cours des âges ont renouvelé la signification de ses versets et se sont interprétés eux- mêmes en terme de communauté.

Catherine Chalier tient à bien faire comprendre pourquoi elle se démarque de la méthode historico-critique en précisant que les premiers commentateurs juifs ayant usé de cette méthode n’étaient pas des rabbins. Au 17ème siècle, Spinoza, dans son traité de théologie politique, se pose en pionnier de la méthode historico-critique. Soit réduire la signification d’un verset à l’intention de son auteur dans la mesure où l’on peut l’établir. Spinoza veut montrer ce que les anciens hébreux pensaient. Mais si l’on se contente de cela, on réduit le texte à une signification et une seule. Un mot est égal à un seul sens. La polysémie est ainsi considérée comme non recevable, car non rigoureuse.

La méthode historico-critique a donc le défaut de priver la Bible de toute originalité. Pire encore, elle fait fi de toute subjectivité.La quête de sens, pour Catherine Chalier, est donc inséparable d’un travail sur nous-mêmes et c’est la signification qu’elle donne au mot « spiritualité ». A l’appui,elle rappelle la première parole de Dieu à Abraham : « va vers toi-même ». C’est parce qu’il répond à cet appel qu’il se dirige vers la Terre promise, tout en allant vers lui- même.

« Il faut avoir confiance dans ces textes mais aussi dans notre propre subjectivité faite de chair et de sang.»

Dans la Torah orale, l’étude doit conduire vers le sens profond des textes. Un même mot peut être étudié selon quatre niveaux différents : dans ses sens obvie ; allusif, porteur de question ; interprétatif ; enfin secret et mystique, intérieur à nous- mêmes. Il s’agit donc de s’approprier toutes les figures de la Bible sans exception. Catherine Chalier ajoute : « la Torah peut être soit un élixir de vie, soit un poison ». Exemple : Kalonymus Shapiro, rabbin au ghetto de Varsovie, lisait les textes de la Torah avec un sentiment de culpabilité, la souffrance ressentie étant une punition de Dieu. Puis, au fur et à mesure des épreuves vécues dans le ghetto, il s’est mis à poser des questions aux textes qui se sont alors ouverts autrement à lui, qui lui ont dit autre chose et ont bouleversé sa théologie. Il a ainsi pris conscience d’un Dieu qui souffre et non pas qui punit.

Si l’on veut que la Torah dise quelque chose, il faut aller à elle pour que le renouvellement de sens s’opère, fait valoir Catherine Chalier. Avec un préalable : « il faut avoir confiance dans ces textes mais aussi dans notre propre subjectivité faite de chair et de sang ».

Catherine Chalier est philosophe, spécialiste du judaïsme. Elle a notamment publié : Transmettre, de génération en génération (Buchet-Chastel, 2008), La Nuit, le Jour (Seuil, 2009), qui a reçu le prix des Écrivains croyants, Le Désir de conversion (Seuil, 2011), Kalonymus Shapiro, rabbin au Ghetto de Varsovie (Arfuyen, 2011), Présence de l’espoir (Seuil, 2013).

 

AD MAJOREM DEI GLORIAM | Printemps 2016